Les frais de scolarité et l’accès à l’éducation : une perspective historique.
Au début des années 1960, les Québécois.e.s sont scolarisé.e.s dans des proportions anémiques : seulement 13 % des élèves francophones complètent leur 11e année et un maigre 3 % des jeunes de 20 à 24 ans fréquentent l’une des trois universités francophones. Le système d’éducation québécois a donc un rattrapage immense à effectuer pour se comparer à celui des autres sociétés occidentales.
Le Parti libéral de Jean Lesage est élu en 1960, après avoir promis la gratuité scolaire en campagne électorale, et jette les bases de la modernisation et de la démocratisation de l’enseignement, notamment en mettant l’accent sur le droit à l’éducation. Bientôt, le ministère de l’Éducation est fondé, les polyvalentes et les cégeps sont créés, le réseau de l’Université du Québec est établi et un système de prêts et bourses est mis sur pied. La gratuité scolaire est implantée de la maternelle au collégial alors que les droits de scolarité universitaires sont gelés, dans le but explicite d’arriver à la gratuité à long terme.
Ces mesures progressistes donnent lieu à un bond fulgurant dans le taux de fréquentation des universités, jusqu’à ce que le dégel des frais de scolarités de 1990 freine brusquement cet élan. Les frais passent de 500 $ à 1200 $ par année en deux ans, avec une indexation selon l’indice des prix à la consommation (IPC) jusqu’en 1994. Entre 1990 et 1996, le taux d’accès à l’université chute drastiquement et n’est rétabli que près de 10 ans plus tard.
En 2011, alors que les étudiant.e.s québécois.e.s n’ont même pas encore fini d’essuyer une autre hausse de 500 $ sur cinq ans, le gouvernement libéral de Jean Charest décrète la plus grande hausse des droits de scolarité de l’histoire du Québec. Cette annonce provoque une crise sociale majeure pendant tout le printemps 2012. Les tenants du pour et du contre s’affrontent dans l’arène politique à coups d’études contradictoires sur l’effet d’une hausse des droits sur la fréquentation scolaire. Sûr et certain d’obtenir l’appui de la population, Jean Charest déclenche des élections générales. Il est défait par le Parti Québécois de Pauline Marois, qui annule la hausse et la remplace plus tard par une indexation.
À la suite de ce conflit, peu de personnes pouvaient se faire une tête sur les réels impacts d’une augmentation des droits de scolarité. C’est pourquoi plusieurs recherches se sont penchées sur le sujet, concluant pour la plupart que la hausse annoncée aurait eu peu d’impact sur le taux de fréquentation global des universités, de l’ordre de quelques points de pourcentage.
Cependant, une de ces études (Bastien et al., 2014) s’est penchée sur une plus longue période de temps et s’est intéressée à l’origine sociale des étudiant.e.s. Ses conclusions sont qu’une augmentation des frais de scolarité universitaires de 1000 $ aurait un impact global d’environ 3 % de diminution des effectifs étudiants. Cependant, cet impact global cache les effets désastreux sur les personnes qui ont des parents moins éduqués : augmenter les frais de scolarité de 1000 $ diminue l’accès à l’université de 19 % chez les personnes dont les parents n’ont pas fait d’études postsecondaires, alors que la même hausse augmente l’accès de 10 % pour les personnes dont les parents ont fait des études universitaires.
En somme, les hausses de frais de scolarité ne diminuent pas de façon alarmante l’accès aux études postsecondaires. Cependant, elles entravent le processus de démocratisation de l’éducation entamé lors de la Révolution tranquille, c’est-à-dire qu’elles contribuent à la scolarisation des tranches les plus favorisées de la société au détriment des moins avantagé.e.s d’entre nous.